Mycologie en chambre




Mycologie en chambre

Bruno Coué*

Qui n’a jamais rêvé de cultiver chez soi des champignons, facilement, sans même acheter de mycélium ? Ceci est possible, grâce à la technique de la chambre humide, mais les champignons obtenus ne se mangeront que des yeux !

Technique et matériel

Rien de plus simple : Il suffit d’une boîte étanche avec son couvercle, dont le fond sera recouvert d’une couche de coton ; les cotons pour démaquillage sont fort bien adaptés. Au cours d’une promenade, récoltez quelques crottes fraîches de mammifères, et déposez les sur le coton préalablement imbibé d’eau. Posez le couvercle et entreposez la boîte dans une pièce de la maison.

Si tout se passe bien, les premiers champignons apparaîtront au bout de quelques jours, mais il est possible que ce soit des moisissures qui colonisent rapidement le support et empêchent le développement d’autres espèces plus attendues. Il faudra alors renouveler l’opération, et vous finirez bien par obtenir des ascomycètes ou des basidiomycètes. Si le coton se dessèche trop, il faut penser à le réhydrater.

Champignons obtenus

Les champignons qui se développent sur excréments ou fumier sont dits fimicoles ou coprophiles. De nombreuses espèces d’Ascomycètes sont fimicoles. Chez les Basidiomycètes, beaucoup d’espèces du genre Coprinus utilisent ces supports. (« Copro » signifie fiente ou fumier). Certains myxomycètes et zygomycètes sont fimicoles.

Tous ces champignons, et plus particulièrement les Asco. et les Myxo. sont de petite à très petite taille : souvent de l’ordre du mm. Aussi, pour se rincer l’oeil et tirer le maximum de plaisir de l’observation de ces « micromycètes », des moyens optiques sophistiqués sont nécessaires : loupe binoculaire, microscope. Ces instruments, avec une documentation adaptée (voir biblio.), seront également indispensables pour les déterminations.

Cette technique présente de multiples intérêts

Tout d’abord l’effet de surprise : il existe une multitude d’espèces fimicoles, et on ne sait jamais à l’avance lesquelles vont « fructifier ».

Elle permet d’observer des champignons même quand les conditions météorologiques sont défavorables : gel, sécheresse.

De nombreux ascomycètes et certains coprins fimicoles sont minuscules, et donc difficilement décelables dans la nature.

Pour déterminer les coprins, il est souvent nécessaire de les observer à différents stades de croissance : à l’état jeune pour étudier le voile, les basides, les cystides, et à complète maturité pour apprécier les caractères des spores. La chambre humide permet de suivre au jour le jour le développement des basidiomes.

Enfin, Certains ascomycètes, fimicoles ou non, sont indéterminables car récoltés immatures. Un séjour en chambre humide peut parfois permettre d’obtenir une maturation complète.

Quelques exemples d’expériences de cultures

Le 9 juin 2001, lors d’une sortie en forêt de Chizé, Michel Sandras m’offre les crottes fraîches de chevreuil qu’il vient de récolter, et me donne les bases de la technique de la chambre humide. Le soir même, le précieux cadeau est mis en boîte.

6 jours plus tard ( J+6 ), un minuscule coprin, de chapeau inférieur à 3 mm, apparaît. La clé de M. Citerin mène à Coprinus heptemerus Lge & Sm., mais la taille des spores est trop petite pour ce taxon. Par contre, elle est tout à fait conforme à celle de la forme parvisporus décrite dans BK tome 4 n° 280. « heptemerus » signifie « de 7 jours » : est ce que cela veut dire qu’il apparaît au bout du 7e` jour, ou bien qu’il « fructifie » pendant 7 jours ? Dans la première hypothèse, ce coprin de 7 jours justifierait bien son nom, à un jour près ...

A J+16, alors que l’espèce précédente a disparu, un autre coprin l’a remplacée : Coprinus stercoreus (Scop.) Fr. D’une taille un peu supérieure au précédent, jusqu’à 6 mm de diamètre, ses spores présentent la particularité d’être incluses au début dans un sac périsporique hyalin.

A J+21, ce sont les fructifications d’un myxomycète qui recouvrent les crottes ainsi que les débris ligneux attenants, et même le coton souillé. Faute de documentation et d’expérience avec ce groupe, j’envoie une partie de la culture à Michel Sandras qui aboutit à Didymium bahiense Gottst., avec cependant un doute pour l’espèce, difficile à séparer d’autres qui lui sont proches.

A J+25, un ascomycète est apparu sur les crottes et le coton souillé. Apothécies jusqu’à 1,5 mm de diamètre, en forme de bouton, crème à saumon pâle. Il s’agit de Idophanus carneus (Pers.) Korf. D’après la littérature, ce champignon est commun, et n’est pas strictement lié aux excréments ; il se développe aussi sur débris végétaux et textiles.

Le 7 août 2001, du crottin de cheval sur lequel on aperçoit de très jeunes coprins est mis en chambre. Ces champignons sont observés dans les jours qui suivent à leurs différents stades de développement, et enfin déterminés Coprinus heterosetulosus Locq. ex Watl. Ce nom spécifique a été donné car on peut voir sur son revêtement 2 types de sétules : la plupart à paroi fine, et d’autres à paroi plus épaisse.

A J+4, un autre petit coprin est déterminé Coprinus miser Karst. Cette espèce, sans voile ni sétules piléiques, possède des spores subglobuleuses, qui ont l’aspect d’un triangle régulier aux angles très émoussés.

A J+11, un basidiomycète de plus grande taille, solitaire, est apparu chapeau de 15 mm de diamètre, conique, et stipe 80 x 2 mm. Il a pour l’instant résisté à toute tentative de détermination. Peut être faudrait il rechercher dans le genre Paneolus ?

Le 18 novembre 2001, plusieurs crottes fraîches de ragondin sont mises en boîte.

A J+6, un tout petit coprin a émergé. La clé de M. Citerin aboutit à Coprinus radiatus (Bolt. : Fr.) S. F. Gray, sans aucune certitude cependant car le faible nombre de basidiomes en plus de leur petite taille ont rendu les observations très délicates.

A J+12, Coprinus stercoreus (Scop.) Fr. fait son apparition, ainsi qu’un ascomycète orangé pâle atteignant 2,5 mm de diamètre, à hyménium remarquablement plan : Coprobia granulata (Bull. ex Fr.) Boud. = Cheilymenia granulata (Bull. : Fr.) J. Moravec.

A J+20, un autre ascomycète de moins de 1 mm de diamètre, solitaire, "fructifie". La microscopie conduit à Ascobolus furfuraceus Pers. ex Fr. Les spores de cette espèce sont spectaculaires : en forme de ballon de rugby, brun pâle à lilacines, et parcourues par des stries longitudinales plus pâles plus ou moins anastomosées. (dessin p. 18)

Le 9 avril 2002, c’est encore du crottin de cheval frais qui est récolté.

A J+11, ce sont des champignons du genre Pilobolus qui dressent leur tête. Ces organismes de la classe des Zygomycètes sont originaux à plus d’un titre. D’une hauteur atteignant presque 10 mm, ils sont constitués d’un pied étroit surmonté d’une tête ovoïde, elle même coiffée d’une masse circulaire noire contenant les spores : le sporange. Le pied et la tête sont translucides et recouverts de gouttelettes de différentes tailles. Non seulement ces champignons sont capables de projeter leur masse de spores à plus de 2,5 m de longueur, mais en plus ils orientent leur tir là où la lumière est la plus intense. Dans la boîte, presque tous les sporanges étaient collés dans la partie haute, dépourvue d’étiquette et donc plus lumineuse.

Ces Pilobolus sont par la suite régulièrement réapparus sur ce même crottin, par petits groupes éphémères. Observés le matin bien frais et prêt à faire feu, ils trahissaient leur présence le soir par quelques lambeaux dé pieds, ultimes restes suite au tir du sporange.

A J+15, c’est en observant les Pilobolus à la loupe binoculaire que j’aperçois ce qui ressemble à un minuscule discomycète : diamètre jusqu’à 0,3 mm. A x100, l’ascome apparaît jaunâtre, ponctué de noir par la saillie des asques mûrs. La microscopie mènera à Saccobolus depauperatus (Berk. & Broome) E.C. Hansen. Chez cette espèce, les huit spores sont d’abord hyalines, puis violacées, et enfin brunes à maturité. Elles sont agglomérées grâce à un mucus selon un motif bien déterminé : 2 rangées de 3 spores et une rangée de 2. Cet amas est expulsé d’un bloc de l’asque, et demeure ainsi dans le milieu d’observation.

A J+17, Coprinus radiatus (Bolt. : Fr.) S. F. Gray commence à « fructifier » ; il se laissera contempler pendant plus d’une semaine. Les basidiomes mûrs étaient au début minuscules, puis leur taille a augmenté au fil des jours pour atteindre une hauteur dépassant 60 mm.

La technique de la chambre humide permet aussi de faire mûrir des champignons récoltés immatures

Le 30 janvier 2002, un minuscule discomycète, grégaire, est récolté sur châton femelle de saule. La couleur blanchâtre des apothécies, la présence d’un stipe, et le support particulier font penser à Pezizella amenti (Batsch ex Fr.) Dennis, mais la silhouette urcéolée ne correspond pas bien à cette espèce, et les asques immatures, vides, ne permettent pas de contrôler les spores. Le châton est donc mis en chambre. A J+7, les ascomes se sont développés et présentent maintenant un hy¬ménium bien plan. Les spores sont présentes dans les asques et leur forme ainsi que leurs dimensions correspondent bien à l’espèce supposée.

Bibliographie

Breitenbach J. et Krânzlin F. 1984, Champignons de Suisse T 1, Mycologia Breitenbach J. et Krânzlin F. 1995, Champignons de Suisse T 4, Mycologia Citerin M. 1992, Clé analytique du genre Coprinus, Documents Mycologi¬ques T 22 fasc. 86 Doveri F., Cacialli G. et Caroti V., 2000, Guide pour l’identification des Pé¬zizales fimicoles d’Italie, Documents Mycologiques T 30 fasc. 117 118 Escallon P. 1989, Précis de myconymie, Fédération Mycologique Dauphiné¬Savoie Fourré G. 1990, Dernières nouvelles des champignons, édité par l’auteur Grelet L.J. 1979, Les Discomycètes de France, Bulletin de la SBCO nouvelle série n° spécial 3 1979 Uljé K. 2001, Coprinus site, http://www.homepages.hetnet.nl/ idakees/ index.html

*Coudré 79190 Clussais la Pommeraie

Bulletin SMMA n°20 2OO2


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