Agaricus pequinii




Agaricus pequinii, un champignon " niortais "

retrouvé à Chenay en 2001 par Bruno Coué * et Guy Fourré **

Le 9 août 2001, un champignon très bizarre était récolté sur le sol d’une grange à Chenay, dans le sud est des Deux Sèvres, par M. Olivier Lachenaud, très jeune mycologue, qui nous a présenté sa récolte sous le nom de Agaricus pequinii : Malgré un état déjà un peu sec, par la silhouette et les lames roses cela ressemblait effectivement à une grosse psalliote (genre Agaricus, dont font partie les " rosés des prés "), avec un chapeau d’un diamètre de 10 cm environ, et un stipe long de 5 cm, muni à la base d’une sorte de volve, bien dégagée du pied qui était chiné au dessus de ce voile. Il dégageait une très forte odeur. Les spores, sub globuleuses, mesuraient 7 8 x 5,5 7 μm

Un " rosé " tout à fait semblable macroscopiquement avait été découvert le 21 novembre 1987 par M. Bertrand, à Mérilly par Sompt (à 19 km de Chenay), à l’intérieur d’un vieux pigeonnier où le récolteur élevait quelques pigeons, donc probablement sur un substrat riche en fientes d’oiseaux. Il avait été transmis par notre collègue C. Napierala et étudié par Yves Antoinette Font. Le chapeau mesurait 12 à 15 cm de diamètre, la cuticule était blanchâtre à grisâtre, le stipe long et très épais : 13 cm de hauteur pour 4 à 5 cm de diamètre, avec une base entourée d’une épaisse volve, et des écailles épaisses, récurvées, brunes. La chair rougissait rapidement. Les spores mesuraient (6,5) 7 8 x (5,7) 6,5 7 μm

Par leur aspect très particulier, ces deux récoltes semblent pouvoir être rapportées à Agaricus pequinii (Boudier) Singer (= Chitonia pequinii Boudier).

Une espèce discutée

Comme il arrive souvent avec les champignons très particuliers et rares, que la plupart des mycologues n’ont jamais vus, l’existence de Agaricus pequinii en tant qu’espèce autonome est discutée.

Konrad & Maublanc écrivaient déjà dans leur célèbre atlas " les champignons à volve, rattachés par Boudier au genre Chitonia Fr., (...) ne nous paraissent que des anomalies du genre Agaricus, développées dans des conditions spéciales à l’obscurité dans des caves ".

La récolte de 1987, qui avait été soumise à Jean Mornand (actuel Président de la Société Mycologique de France), avait semblé plus proche de Agaricus volvatus, d’après la monographie de Marcel Bon, en raison de son rougissement marqué et de la taille de ses spores.

Le champignon de 2001 a été envoyé à un spécialiste des psalliotes, Patrick Boisselet, qui nous a répondu : " II s’agit bien du taxon que l’on nomme Agaricus pequinii. Toutefois je pense personnellement que ce taxon, que je rencontre assez souvent, n’est qu’une variété luxuriante et écologique d’Agaricus bitorquis. Mais à chacun de se faire une idée... "

Le choix entre le rang d’espèce, variété, voire forme, n’est en effet qu’une hypothèse. En l’absence de tests génétiques (qui pourraient en principe être pratiqués dans le genre Agaricus), personne ne peut affirmer qu’il s’agit ou non d’une espèce à part entière. La biologie moléculaire nous apportera peut être, dans l’avenir, des réponses fiables. En attendant nous pensons que ce champignon mérite un nom particulier que ce soit au rang d’espèce ou de variété par son aspect très original et peut être plus encore par son habitat insolite : la récolte de 1987 avait été faite à l’intérieur d’un pigeonnier, celle de 2001 sur le sol d’une grange. Et dans la littérature nous avons trouvé, dans un ouvrage italien (Atlante de Trento), " trouvé en octobre 1982 sur le sol de l’écurie d’un âne "... Et la description originale, par Boudier, était basée sur une trouvaille faite dans une serre.

Cependant d’autres récoltes semblent avoir une écologie différente. En 1987 Jean Momand nous avait signalé plusieurs récoltes faites à l’extérieur sous résineux, cupressus et cèdres notamment. Patrick Boisselet ne nous a pas précisé l’habitat de la variété qu’il rencontre " assez souvent ", mais on sait qu’il est spécialiste des psalliotes des cyprès (dont une espèce porte son nom, Agaricus boisseletii).

Enfin nous avons lu sous la plume du regretté Georges Becker, et à propos des Icônes de Boudier : " Je salue au passage Chitonia pequinii, dont de bons esprits prétendaient qu’elle n’existait pas et que j’ai eu la joie de trouver dans le jardin d’un ami en Espagne, près de Tarragone ".

Il n’est pas impossible qu’il existe deux " formes écologiques ", une liée aux résineux et l’autre remarquable par son habitat à l’intérieur de locaux sur des sols très riches en nitrates. Et on peut se baser sur la monographie de Marcel Bon pour séparer Agaricus pequinii de A. volvatus...

Compte tenu de toutes les incertitudes (ainsi l’éventuel rougissement de la chair n’a pas été noté pour la récolte de 2001) mais aussi de l’aspect tout à fait frappant de cette " psalliote à volve " et de son habitat non moins remarquable, nous prenons l’option de nommer Agaricus pequinii la récolte faite en août 2001, sans aucune certitude de la réalité d’une espèce distincte, mais en vue de distinguer, sur le plan pratique, ce champignon qui ne ressemble guère à son " voisin " le plus proche, Agaricus bitorquis.

Trouvé pour la première fois à Niort

Chitonia pequinii avait été décrit pour la première fois par Emile Boudier, dans le bulletin de la Société Mycologique de France , avec la mention " trouvée sur la terre, dans une serre, à Niort en octobre 1900 par M. Péquin.

L’illustre Boudier avait été si frappé par cette psalliote à volve que lorsqu’il en reçut l’année suivante, de la même source, des exemplaires adultes, il en fit une nouvelle description (la première était celle d’un jeune carpophore), et Chitonia pequinii est une des deux seules espèces, sur 600, représentée par deux planches dans les célèbres " Icônes ". (voir planche 3)

Mais qui était Péquin ?

Nous avions retrouvé assez facilement, en 1987, des informations sur ce mycologue auquel Boudier avait dédié la trouvaille : Jules Péquin était " pharmacien de 1ère classe " à Niort, 50 rue Victor Hugo. En 1920 il avait vendu sa pharmacie à M. Delestre, prédécesseur de M. Gobert dans cette officine. Nous avions recueilli le témoignage d’un autre pharmacien niortais, M. Henri Parnaudeau, qui avait bien connu Jules Péquin : après avoir vendu sa pharmacie à M. Delestre il était devenu pharmacien à l’hôpital de Niort et il occupait encore cette fonction en 1930.

Jules Péquin faisait partie des membres fondateurs de la Société Botanique des Deux Sèvres, créée en 1888. Elle fut ensuite transformée en Société botanique du Centre Ouest et c’est toujours l’une des plus actives associations de naturalistes de la région, bénéficiant même largement d’une audience nationale. C’est d’ailleurs dans le bulletin de la Société Botanique des Deux Sèvres que la psalliote à volve avait été évoquée pour la première fois, dans le compte rendu de la séance du jeudi 8 novembre 1900.

C’était l’époque où les pharmaciens portaient redingote et chapeau haut de forme. Mais c’était aussi le temps où ils étaient tous botanistes et mycologues. Comme Victor Dupain, pharmacien à La Mothe Saint Heray, qui fut vice président de la Société Mycologique de France et auquel le même Boudier avait dédié le Boletus dupainii. Mais cette dernière espèce n’a jamais été discutée à notre connaissance et elle a quand même été retrouvée plus souvent que Agaricus pequinii... Peut être parce que les mycologues fréquentent davantage les bois, habitat normal du bolet, que les sols fumés des granges, pigeonniers ou écuries où se plait la psalliote de Péquin !

*Coudré 79190 Clussais la Pommeraie * * 152 rue Jean Jaurès 79000 Niort

Bibliographie

Bulletin de la Sté Botanique des Deux Sèvres, 1900, p 105 : procès verbal de la séance du 8 novembre 1900 Atlante Iconografico 1981 1983 Gr. Micolog. "G. Bresadola", Trento p 240 BECKER G., 1986 A propos d’Emile Boudier Bull. Soc. mycol. Fr., 102, p (107) BOUDIER E., (1904) 1905 1911 Icones mycologicae ou Iconographie des champignons de France. Paris, éd. Paul Klincksieck., 4 vol. PI. 132 133 CAPELLI A., 1984 Agaricus L : Fr. Fungi Europaei T 1 Pl 6 p 117 120 et 378 379 ROMAGNESI H., 1986 Sur le genre Chitonia (Fr.) Karst. Bull. Soc. mycol. Fr., 102 p 115 120

Bulletin SMMA n°20 2002


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