Galles et Champignons




Par Jean Meloche

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M. Lorgeré

De façon restrictive, le terme galle s’applique "aux excroissances produites sur diverses parties des végétaux par des piqûres d’insectes qui y déposent leurs oeufs" (Littré).

Au sens large il désigne "tout ensemble de cellules, de tissus ou d’organes végétaux ayant subi une déformation pathologique sous l’influence d’un organisme parasite ou symbiotique".

On distingue ainsi parmi les galles ou cécidies, les zoocécidies provoquées par des animaux, et les phytocécidies provoquées par des végétaux ; ces dernières sont presque exclusivement constituées de mycocécidies : galles provoquées par des champignons.

Ce préambule un peu aride ne doit pas occulter un vocabulaire autrement plus imagé : hernie du chou, galle noire verruqueuse de la pomme de terre, cloque du pêcher, ergot du seigle, chaudron et autre balai de sorcière...

Les mycologues échappent de justesse au chancre suintant qui est provoqué par une bactérie.

Quelques champignons parasites se développent à l’intérieur des cellules, c’est le cas des Archimycètes et des Myxomycètes. Chez les autres le mycélium envahit l’espace intercellulaire et produit des suçoirs qui pénètrent à l’intérieur des cellules.

Galles à Myxomycètes

Beaucoup de Myxomycètes se développent sur les matières organiques en décomposition, principalement le bois mort. A l’observateur attentif, muni d’une forte loupe ou d’un microscope, ils offrent le spectacle d’architectures d’une fascinante beauté.

Les Myxomycètes sont à la frontière du monde végétal et du monde animal auquel on les a parfois rattachés sous le nom de Mycétozoaires. Cette ambiguïté est due à l’apparition dans leur cycle de développement d’une phase mobile appelée plasmode qui, par son organisation et sa mobilité, rappelle les amibes. Cette originalité est encore soulignée par certaines classifications qui opposent les Myxomycètes à l’ensemble de tous les autres champignons, les Eumycètes ou vrais champignons*. (* Ce qui prouve que la tendance simpliste qui consiste à opposer « vrai » et « faux » champignons ne sévit pas qu’au niveau de la Limerège mais atteint les plus hautes sphères de la spéculation mycologique.)

Les Myxomycètes sont répartis en quatre ordres ; celui des Plasmodiophorales qui seul nous intéresse ici, comprend une quinzaine d’espèces toutes parasites des végétaux sur lesquels elles provoquent tumeurs et déformations.

Plasmodiophora brassicae provoque la hernie du chou. Cette maladie provoque sur le collet des choux, mais aussi sur d’autres crucifères, un renflement qui peut atteindre la taille de la tête d’un jeune enfant. Ces galles n’apparaissent que dans les terrains non calcaires.

Les spores du Plasmodiophora brassicae peuvent se conserver longtemps dans le sol grâce à leur paroi chitineuse. En conditions favorables les spores produisent un organisme qui se déplace à l’aide de deux flagelles. II pénètre dans les radicelles, perd ses flagelles et se multiplie activement produisant un plasmode qui peut avoir jusqu’à trente noyaux. Les noyaux se réunissent ensuite par paires puis se divisent pour finalement engendrer de nouvelles spores. Le détail de la biologie de ce champignon est encore mal connue, d’une part en raison de la difficulté d’observation qui résulte du fait qu’il passe une partie de sa vie à l’intérieur des cellules de la plante parasitée, d’autre part parce qu’il passe par un stade au cours duquel ses noyaux ne sont plus colorables pour examen microscopique.

D’autres galles sur les racines et le collet des crucifères sont dues à des charançons. Sur une coupe de la galle on observe alors des galeries creusées par les laves.

Spongospora subterranea provoque la galle poudreuse de la pomme de terre.

Galles à Phycomycètes

Cet ensemble regroupe des champignons "inférieurs" microscopiques qui comportent une seule cellule ou qui sont formés de filaments non cloisonnés (non septés). Certains Phycomycètes sont aquatiques et parasitent des algues, des mollusques ou des poissons.

Le groupe des Archimycètes comprend l’ Olpidium viciae parasite des vesces et Synchytrium endobioticum agent de la galle noire et verruqueuse de la pomme de terre. A ne pas confondre avec la galle poudreuse de la pomme de terre évoquée précédemment.

Galles à Ascomycètes

Avec les Ascomycètes (Pézizes, morilles, truffes...) nous retrouvons des champignons un peu plus conformes à l’idée que l’on s’en fait habituellement. On trouve aussi dans ce groupe des levures, des moisissures comme les Aspergillus et Penicillium. D’autres espèces se développent sur le bois mort où elles produisent des pustules plus ou moins colorées qui enthousiasment certains mycologues (Mais si !). On y trouve enfin des producteurs de galles :

Taphrina deformans provoque la cloque du pêcher qu’il n’est pas nécessaire de présenter. La cloque peut également se développer sur amandier. Les printemps froids et humides favorisent la maladie.

Taphrina pruni cause la pochette du Prunier, la prune est remplacée par une formation irrégulière en forme de comichon.

Epichloetyphina envahit les tiges des graminées autour desquelles il forme un manchon de couleur orange que maint chercheur de champignon à l’ail sagace aura sans doute remarqué.

Claviceps purpurea parasite le Seigle. Il se développe sur l’ovaire de la fleur. Le grain est remplacé par un sclérote arqué (comme l’ergot du coq) de 1 à 2 cm, de couleur violette. L’ergot du seigle est particulièrement riche en alcaloïdes. Rappelons que la caféine, l’atropine, la nicotine, la colchicine, la psilocybine... sont des alcaloïdes. Les alcalaoïdes de l’ergot du seigle (dérivés de l’acide lysergique) sont responsables de l’ergotisme forme chronique de l’intoxication, due à l’ingestion de petites doses répétées et qui se manifeste par un engourdissement des pieds et des mains, avec dessèchement de leur épiderme qui noircit, comme consummé par un feu intérieur. Vient ensuite une gangrène sèche, très douloureuse. Au Moyen Age l’ergotisme chronique est appelé mal des ardents, feu de St Antoine, gangrène des Solognots... « Que le feu St Antoine te arde ! » n’était pas une formule de bienvenue. Fraudes et famines favorisaient les ravages de l’ergotisme et procurèrent à Breughel et à Jérôme Bosch quelques uns de leurs modèles d’estropiés pathétiques.

Une autre manifestation de l’ergotisme, l’intoxication aiguë, connue au Moyen Age sous le nom de feu Saint André est caractérisée par des vertiges, des convulsions, des hallucinations et du délire. (Que le feu Saint André t’emporte !). Roger HEIM (Champignons d’Europe) indique comme traitement de cette manifestation... l’eau de vie et le champagne*. (*Vous pouvez toujours essayer de convaincre votre caisse d’assurance maladie de vous rembourser les médicaments.)

Plusieurs des alcaloïdes de l’ergot du seigle sont employés en médecine. En 1938, à partir de l’acide lysergique de l’ergot du seigle, Hofmann et Stoll produisent pour la première fois le LSD25... Il ne deviendra célèbre que cinq ans plus tard, quand Hofmann, en essayant de le purifier, découvrira à ses dépens les vertus hallucinogènes du produit. Les chimistes du laboratoire Sandoz ne publieront leur découverte qu’après la guerre redoutant l’usage militaire que l’Allemagne nazie pourrait en faire. Le L S D, le plus puissant hallucinogène connu.* (* Le LSD agit à dose de 1 microgramme (1 millionième de gramme !) par kilo de poids corporel. Il est 100 fois plus actif que la psylocybine et 5000 fois plus actif que la mescaline)

Galles à Basidiomycètes

Les Basidiomycètes (Bolets, Lépiotes, Cortinaires...) apportent une dernière contribution, et pas la moindre, à la production de galles. Ils sont en effet responsables des Charbons et des Rouilles.

Les Ustilaginales sont responsables de Charbons dont plusieurs produisent des galles.

Ustilago Zeae transforme les ovaires du Maïs en énorme boursouflures remplies de spores.

Ustilago violaceae , plus discret se développe sur le Compagnon blanc ( Lichnis dioïca). On sait que cette plante tire son nom latin du fait que les fleurs mâles et les fleurs femelles apparaissent sur des pieds séparés. Les spores du champignon se forment dans les anthères des étamines où ils produisent une abondante poussière violette. Ce phénomène est assez commun dans notre région. Le plus étonnant est que lorsque Ustilago violaceae parasite une fleur femelle, il "force" la fleur parasitée à produire des étamines tout comme les fleurs mâles, ce qui est un peu déconcertant pour un botaniste débutant. On retrouve là une des caractéristiques des organismes producteurs de galles qui est d’orienter à leur profit les productions des végétaux qu’ils parasitent.

Galles provoquées par des rouilles

Les Urédinales ou rouilles comptent de nombreuses espèces cécidogènes aux productions souvent remarquables et brillamment colorées. Certaines espèces font appel à plusieurs plantes successives pour boucler leur cycle biologique :

Puccinia graminis responsable de la rouille du blé se développe au printemps sur l’Epine Vinette (Berberis vulgaris). Le champignon se développe à l’intérieur de la plante sous une forme à un seul noyau. Puis il produit des fructifications à l’extérieur de l’Epine vinette et ses spores tombent sur le blé, y germent et se développent sous une forme à deux noyaux. Il produira alors des spores résistantes qui passeront l’hiver et le cycle pourra recommencer au printemps sur l’Epine vinette

Uromyces pisi forme des spores de printemps sur l’Euphorbia cyparissias et ses spores d’été et d’automne sur le pois cultivé (Pisum sativum). La morphologie de l’Euphorbe est tellement modifiée par l’Uromyces pisi que la plante devient méconnaissable.

Melampsorella caryophyllacearum est responsable des balais de sorcière qui se développent sur les sapins en station humide. Du balai de sorcière au chaudron il n’y a qu’un pas et le traité de TECHNIQUE FORESTIÈRE de Ph. GUINIER, A. OUDIN et L. SCHAEFFER publié en 1947 à La Maison Rustique, nous apprend que : « Le chaudron du Sapin est en relation étroite avec le balai de sorcière : la tumeur se forme au début au point d’implantation du balai de sorcière sur la tige ; mais tandis que le balai de sorcière se dessèche et tombe au bout de quelques années, le chaudron continue à s’accroître pendant toute la durée de la vie de l’arbre, sans d’ailleurs en compromettre sensiblement la vigueur. Mais la présence de cette masse de tissus de structure anormale gêne le débit et diminue beaucoup la valeur du bois ».

Melampsora pinitorqua est responsable d’une courbure en S des jeunes rameaux du Pin sylvestre. Le champignon se développe sur un côté du rameau et en détruit les cellules. La croissance se poursuivant sur la face opposée le rameau pousse à l’horizontale puis vers le bas. Par la suite, sous l’influence du géotropisme négatif, le rameau pousse à nouveau dans une direction plus conforme à l’ordre des choses. Le résultat est une sorte de S plus ou moins harmonieux.

Puccinia Isiaceae a comme hôte de printemps au moins 22 phanérogames, appartenant à 9 familles différentes, et comme hôte d’été et d’automne une espèce unique le Phragmites communis.

Par contre d’autres rouilles n’utilisent qu’un seul hôte. C’est le cas d’ Uromyces fabae qui se développe sur Légumineuses, de Puccinia Violae sur les violettes, de Phragmidium violaceum sur les ronces et de Phragmidium subcorticium sur les églantiers.

Après ce bref survol d’un sujet immense reste à garder en mémoire que la plupart des galles rencontrées au cours de nos promenades mycologiques... sont d’origine animale. Jean Meloche 1993

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Pour en savoir plus sur les galles en général :

HOUARD C. Les Zoocécidies des plantes d’Europe et du Bassin de la Méditerranée 3 volumes 1550p 1908 1913. La Bible quoi. Introuvable. On peut le consulter à la bibliothèque du Muséum à La Rochelle.

WESTPHAL E. BRONNER R. MICHLER P Découvrir et reconnaître les galles. Delachaux & Niestlé. 96 pages. Redécouvrir quelques unes des galles les plus banales aurait constitué un titre plus judicieux. Un petit livre sans prétention.

DAUPHIN P. ANIOTSBEHERE J.C. Les galles de France Edité par la Société Linéenne de Bordeaux 400 pages Parution annoncée pour juin 1993. Nous ne connaissons pas encore cet ouvrage.

De l’un des auteurs de l’ouvrage précédent (P. DAUPHIN) : Petit guide pour l’étude des galles. II s’agit d’un N° spécial de la revue des Naturaliste de Guyenne paru en 1983. Edité avec peu de moyens : machine à écrire, photocopie... 50 pages et 126 figures. Croquis malheureusement très peu élaborés. Espérons que la nouvelle mouture sera mieux illustrée ! Ouvrage quand même bien pratique.

A signaler enfin trois films du CNRS, réalisés par E. WESTPHAL : Acariens bâtisseurs de galles. Si les galles m’étaient contées. Les galles au hasard des chemins.

Bulletin SMMA n° 12 1993


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