Connaissez-vous l’Ourlious ?




Guy Fourré 152 rue Jean Jaurès 79000 Niort

C’est un très bon champignon comestible, et avantageux car ses carpophores de grande taille poussent souvent en cercles comportant de nombreux exemplaires... Mais il est extrêmement rare dans notre pays, et il n’a jamais été signalé en Poitou-Charentes.

Un ami toulousain s’intéressant à la trufficulture, Antoine Sanchez, m’avait parlé de ce champignon que des bergers du Quercy prétendaient pouvoir " cultiver ", ou plus exactement déplacer, en découpant une très large motte de terre autour du carpophore pour la transporter et l’implanter dans une autre prairie ! Il paraît que ça marche, alors qu’avec la très grande majorité des autres espèces les chances de réussite seraient nulles...

A fin octobre 2001, grâce au bon " tuyau " donné par Antoine Sanchez, et avec l’aide du grand spécialiste des truffes Pierre Sourzat, j’avais pu me rendre dans la région concernée, du côté de Limogne-en-Quercy, à 25 km à l’Est de Cahors. Un berger de cette région, M. Escaut, avait bien voulu me conduire - non sans réticence au premier contact - dans un secteur où j’avais pu photographier des " ourlious " in situ..., et il m’en avait donné quelques exemplaires pour me permettre d’y goûter : c’est vraiment très bon, avec une saveur assez originale...

" L’Ourlious ", c’est le nom vernaculaire de Tricholoma goniospermum Bres., très facile à identifier sous le microscope où l’on découvre des spores fortement anguleuses (inde nomen). Des spores si différentes de celles des autres tricholomes que certains mycologues en font un genre à part, Tricholosporum Guzmàn.

Macroscopiquement, son aspect est assez banal :


JPG - 94.6 ko
Tricholoma goniospermum

avec son large chapeau charnu et étalé, sur un pied plutôt court mais robuste, il a un peu la silhouette, et les dimensions, du " pied violet des prés " ou " Tricholome sinistre " (Lepista personata = L. saeva), mais les nuances jaune clair de la cuticule (Seguy 259 à 258), sur les jeunes exemplaires, pourraient aussi faire penser, vu de dessus, à un cortinaire. En vieillissant le chapeau devient d’abord mêlé de violacé clair, puis ocre brunâtre. Les lames sont serrées, couchées, denticulées, très échancrées, blanchâtres à bleuâtres, lilacées à l’état jeune (vers Seguy 555). Le pied, évasé sous les lames, souvent tordu, brunit fortement après la récolte sauf dans la partie supérieure qui reste jaunâtre. La chair est blanche, dégageant une odeur agréable.

La sporée parfaitement blanche écarte les Lepista et Cortinarius. Les spores fortement anguleuses, parfois tétralobées ou plus allongées sur les basides, mesurent 7-9 x 5-6 µm, elles sont souvent guttulées. Il y a des cheilocystides, et des boucles dans les hyphes de la cuticule.


Silhouette des spores de Tricholoma goniospermum, dessin Bruno Coué d’après une photo de Guy Fourré.


On le trouve dans de vieilles prairies naturelles, sur calcaire, dans l’herbe haute qui le cache aux regards non exercés. Dans la station où nous l’avons observé des rochers calcaires affleuraient un peu partout.

Les bergers du Lot en sont très friands, et ils gardent jalousement le secret sur les stations qu’ils connaissent. C’est même pour mieux les surveiller qu’ils essaient, semble-t-il, de les transplanter à proximité immédiate de leur domicile ! Si cette transplantation réussit, comme on me l’a affirmé, cela laisserait supposer un mode de vie saprophytique (alors que les autres Tricholomes sont généralement mycor¬hiziens). Cependant d’autres observations évoquent un lien possible avec des genévriers, arbustes qui étaient également communs, à proximité immédiate de la prairie où nous l’avons récolté dans le Quercy.

5 ou 6 stations en France ?

Quelques mois après cette visite dans le Lot, j’avais posé la question de la répartition du Tricholoma goniospermum en France, sur les forums d’Internet Inventaire-myco et Mycologia europaea. Les réponses reçues confirmaient la grande rareté de l’espèce dans notre pays, où le nombre de stations connues semblait inférieur à la dizaine. Voici le résumé des informations reçues :

-  l’observation la plus ancienne semble être celle de Josserand (signalée par Pierre-Arthur Moreau), qui avait reçu en octobre 1947 deux récoltes transmises par Lacaze, en provenance de Prades, commune de Lussan (Gard), leg. Mlle Esther François. Josserand indiquait pour l’habitat : " dans une garrigue, sous Quercus ilex, Juniperus communis et J. oxycedrus (semblant en relation avec ce dernier) " (1).

Paul Bertéa avait déterminé le Tricholoma goniospermum (détermination confirmée par Henri Romagnesi) sur une récolte du 3/10/1974, dans des garrigues, dans le secteur de Pic-Saint-Loup, canton de Saint-Martin-de-Londres, à environ 25 km au nord de Montpellier. Cette trouvaille figurait dans le cahier de récoltes de Georges Chevassut mais elle fut oubliée dans la série des " Agaricales de Languedoc-Cévennes ", de Bon et Chevassut (DM 1973-1975). De Lussan (précédente station) à Pic Saint-Loup il n’y a que 65 km à vol d’oiseau.

-  Jacques Guinberteau l’avait reçu une première fois, dans les années 75, récolté par Jacques Delmas dans le Quercy aux environs de Cabrerets (sud du Causse de Gramat). En 1991, J. Guinberteau recevait à nouveau l’Ourlious, récolté cette fois par Pierre Sourzat sur le Causse au-dessus de Tour de Faure dans le département du Lot. Ces deux stations sont très proches (15 et 10 km) de celle où je l’ai vu et récolté près de Limogne-en-Quercy.

-  Serge Poumarat avait photographié une récolte du Var le 12/10/1994 (leg. D. Villeneuve), sur calcaire, sous pins d’Alep, chênes verts et genévrier de Phénicie, à Riboux (Var) près de Cuges-les-Pins (Bouches-du-Rhône). (150 km de Riboux à Lussan, 200 km de Lussan à Limogne-en-Quercy).

-  Jacques Montégut évoque une récolte dans la région de Vouvray (Indre-et-Loire) " ormaie riveraine nitrophile ", leg. Auclair ;

-  Albert Péricouche a signalé une récolte dans le Loiret, à La Chapelle Saint-Mesmin (banlieue ouest d’Orléans) et publiée par Bon et Charbonnel dans les Documents Mycologiques (F 119, 2000), avec l’hypothèse d’une forme ou variété distincte... Cette récolte du Loiret semblait en effet bien différente, par ses lames restant blanches et son chapeau également blanchâtre, de ce qui est connu de l’espèce dans la moitié sud de la France.

On notera que les régions du Gard, de l’Hérault, du Quercy et du Var, où le Tricholoma goniospermum type a pu être décrit de façon assez précise, semblent présenter des caractéristiques bio-climatiques et pédologiques assez voisines.

Plus commun en Italie et en Espagne

Rare en France, ce tricholome à spores anguleuses est bien connu par contre chez nos voisins d’Italie et d’Espagne. Le mycologue italien Bruno Gasparini m’avait répondu, suite à la question posée sur le forum Mycologia-Europaea :

" Tricholosporum goniospermum (Bres.) Guzman est largement répandu et abondant dans notre région (celle de Trieste), au point de pouvoir être considéré comme invasif ! (...) On pense qu’il est partiellement saprophyte et partiellement lié à des graminées. Il a deux saisons de fructification : à la fin du printemps (juin, début juillet) et en automne. C’est un des meilleurs champignons comestibles ".

Par ailleurs André Marchand, dans " Champignons du nord et du midi " (tome 9, pl. 837) ne l’avait vu qu’à l’exposition de Trento en 1968 et il considérait l’espèce comme " confinée dans la région des lacs de l’Italie du nord ".

De son côté l’Espagnol Carlos Enrique Hermosilla m’avait écrit : " Il apparaît ici dans les landes et les pâtures à genévriers, surtout au printemps, au mois de mai, occasionnellement en juin et même en automne. Il forme des " ronds de sorcières " bien visibles. Il a été cité de la province de Burgos... "

L’espèce est d’ailleurs représentée par une planche en couleurs grand format, et qualifiée de " moyennement répandue ", dans l’excellente série de la Société Aranzadi sur les champignons du Pays Basque (Setas del pais vasco).

Signalons enfin l’étude de Marco Contu et Alberto Mua sur " Il Genere Tricholosporum Guzmàn (Basidiomycotina, Agaricomycetes) in Europa, dans la Rivista di Micologia 2000, 3 : 249-257 " : ils décrivent en plus de goniospermum deux autres espèces, T. tetragonosporum, typique de la zone méditerranéenne, et T. nodulosporum, connu seulement de Hongrie. Les récoltes françaises qu’ils évoquent pour goniospermum sont les mêmes que ci-dessus.

Il n’est pas impossible que ce bon comestible soit connu et consommé dans d’autres régions que celles où il a pu être étudié par des mycologues : nous avons parfois vu des mycophages se régaler avec des champignons auxquels les meilleurs spécialistes hésiteraient à donner un nom ! Et des amateurs ne connaissant que le cèpe seraient capables de donner à l’ourlious un coup de pied méprisant - ce qu’il ne faut jamais faire ! - sans penser une seconde qu’il peut s’agir d’une grande rareté...

Cependant son habitat semble plus ou moins lié - pour l’instant - aux secteurs calcaires dans la moitié sud de la France, et on peut supposer que s’il était aussi commun chez nous qu’en Italie du nord, de nombreux autres mycologues auraient été suffisamment intrigués par l’aspect inhabituel de ce champignon pour essayer de le déterminer, et le microscope les aurait facilement mis sur la bonne piste.

(1) JOSSERAND M., 1949 - Etude sur Tricholoma goniospermum Bres. - Travaux botaniques dédiés à René Maire, p. 185-191.


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