Des jours avec et des jours sans ?




Cet article est paru dans le bulletin SMMA n° 22-2004

DES JOURS AVEC ET DES JOURS SANS ?

Guy Fourré 152 rue Jean Jaurès 79000 Niort

L’an dernier aux journées mycologiques de Bellême, j’avais lu dans le dossier remis à chaque participant une information qui m’avait étonné : il s’agissait d’un arrêté préfectoral réglementant la cueillette de champignons dans les forêts domaniales du département de l’Orne, et interdisant toute cueillette les mardis et jeudis.

Cet arrêté semblait manifestement inspiré par la chasse, avec des jours sans et les mêmes limites horaires, la cueillette n’étant permise, les autres jours, que de 8 h le matin jusqu’au coucher du soleil. Les ramasseurs de champignons étaient invités à " respecter les autres usagers de la forêt " et notamment les chasseurs, mais la réciproque n’était pas envisagée !

Je pensais alors que cet arrêté avait été pris par un préfet chasseur mais ignorant tout du mode de vie des champignons, et qu’il n’avait sans doute pas consulté les mycologues locaux. Mais à ma grande surprise, j’ai appris à l’occasion d’une réunion régionale des représentants des sociétés mycologiques de l’Ouest, que des collègues de l’Orne approuvaient cet arrêté préfectoral, en pensant aux deux jours de répit que cela pouvait assurer à des forêts faisant l’objet d’une fréquentation excessive, sans doute aggravée par rapport aux nôtres par la relative proximité de la région parisienne...

C’est gentil pour la forêt et pour les champignons, mais c’est un précédent qui pourrait conduire à des réglementations stupides, comme il en existe en Suisse : dans certains cantons la cueillette est interdite du 1er au 7 de chaque mois, ou du 10 au 20, du 1er au 10, etc. Il est évident que les conditions atmosphériques peuvent rendre ces mesures sans objet : si la sécheresse sévit pendant la première quinzaine du mois cela ne gênera personne, et inversement si c’est la période où les champignons apparaissent après des semaines de disette, l’interdiction pourra obérer toute la saison !

La cueillette n’est pas la principale menace

Les restrictions de cueillette sont toujours inspirées, du moins officiellement, par le louable souci d’éviter la disparition des champignons, l’arrêté du préfet de l’Orne, par exemple, dit en préambule qu’il s’agit " de sauvegarder la biodiversité des forêts domaniales "... Mais quand on connaît le mode de vie des cryptogames, on se dit que l’interdiction de cueillette deux jours par semaine ne peut avoir aucun effet bénéfique sur la sauvegarde des espèces.

Rappelons que ce que nous appelons un champignon n’est que le fruit d’une sorte d’arbre souterrain, le mycélium. Même si l’on cueille toutes les poires d’un poirier, il en donnera tout autant, voire davantage, l’année suivante si les circonstances atmosphériques sont favorables. C’est la même chose pour les champignons. Si les cèpes régressaient " parce qu’ils sont trop ramassés ", comme le croient beaucoup de profanes, il y a bien longtemps que l’espèce Boletus edulis serait totalement disparue, vu l’incroyable " pression de récolte " à laquelle elle est soumise depuis des lustres !

Il existe bien, hélas, une diminution des populations fongiques. Mais dans cer¬tains pays du nord de l’Europe, où cet appauvrissement a été scientifiquement évalué, il a été prouvé que la régression touche aussi bien les espèces non comestibles, peu ou pas du tout récoltées, que celles qui remplissent les paniers des mycophages.

Paradoxalement, compte tenu des réglementations évoquées ci dessus pour la Suisse, c’est dans ce pays que des études précises ont le mieux démontré l’absence de lien entre l’importance des récoltes et le maintien des espèces : un institut fédéral de recherches sur la forêt avait fait délimiter des placettes, entourées d’une clôture suffisamment haute et solide pour empêcher toute intrusion frauduleuse, et des agents comparaient les fructifications entre celles où la récolte des champignons était effec¬tuée et celle où aucun carpophore n’était prélevé : les résultats de ces études, poursui¬vies pendant plusieurs années, prouvaient que la cueillette n’avait pas d’influence sur le maintien des mycéliums.

A l’occasion d’un congrès mycologique international où nos amis suisses avaient présenté le résultat de ces études, je m’étais étonné auprès d’eux que malgré cela certains cantons aient pris des mesures de restrictions totalement inadaptées : on m’avait alors expliqué qu’en Suisse, état fédéral, les administrations cantonales sont très jalouses de leurs prérogatives, et que sous la pression de certains mouvements de dé¬fense de la nature où les mycologues ne devaient guère être présents les gouverne¬ments locaux pouvaient promulguer leurs lois sans s’occuper des recherches scientifiques effectuées au niveau de leur confédération.

Le péril est dans le sol et dans l’air

J’imagine des lecteurs s’interrogeant, à la lecture de ce qui précède : " Mais alors, si ce n’est pas la cueillette abusive, qu’est ce qui fait disparaître les champignons ? " La réponse, ou plutôt les réponses à cette question, ne sont pas simples, mais elles peuvent se résumer en un mot : l’environnement. Dans son sens strict, car c’est un mot à la mode dont se gargarisent tous les politiques en faisant bien souvent, ou en laissant faire, le contraire de leurs discours...

Les mycéliums résistent assez bien à la sécheresse l’année que nous vivons semble le prouver mais certaines modifications de leur milieu de vie leur sont fatales. On a pu le constater, empiriquement, avec le " rosé des prés " (Agaricus campestris) : dans certaines prairies de Gâtine, où ces champignons étaient très abondants, il arrivait parfois que l’agriculteur exploitant fasse un apport de scories pour réduire

l’acidité du sol. Il n’en fallait pas plus, dans la plupart des cas, pour faire disparaître totalement et définitivement les cercles de psalliotes. Maintenant ce sont les prairies naturelles elles mêmes qui ne sont plus que des souvenirs, celles qui n’ont pas été labourées et transformées en champs de maïs sont semées, amendées, engraissées pour leur faire produire plus d’unités fourragères à l’hectare, et c’en est fini pour les rosés des prés.

Les pluies acides, les modifications du climat, ont été évoquées également parmi les causes de régression des espèces. Les champignons mycorhiziens sont d’ailleurs les plus touchés. Quand l’assèchement des nappes phréatiques fait périr des hêtres centenaires, on peut penser que les mycéliums qui vivaient en symbiose avec ces arbres sont également menacés. La disparition des haies, des tourbières, des zones marécageuses, met en péril toute la biodiversité liée à ces milieux particuliers, pas seulement pour les champignons.

L’ignorance "truffée"... de bonnes intentions

La méconnaissance du mode de vie des champignons peut conduire à des excès ubuesques, comme ceux qui ont été rapportés dans le numéro d’octobre à décembre 2002 du bulletin " Le Trufficulteur "...

Un restaurateur français installé en Allemagne, et passionné de champignons, avait fait venir dans sa région des spécialistes de la Truffe, dont un professeur à l’Université de Nancy. Le chien du restaurateur avait permis la découverte de 45 truffes dites " de Bourgogne " (Tuber uncinatum), pour un poids total de 750 g. Informées de cette récolte sensationnelle, la télévision et la presse allemande en avaient fait leurs gros titres...

Mais la réaction n’avait pas traîné : le lendemain le restaurateur était avisé par la Préfecture que " les truffes sont interdites de récolte en Allemagne " ! Cette intervention avait été suscitée par une plainte des mouvements écologistes, et le département de Botanique de l’Université de Bonn avait confirmé que Tuber melanosporum et Tuber aestivum étaient sur la liste des champignons protégés. Tuber uncinatum, celle qui avait été récoltée, n’était pas sur cette liste et semblait donc pouvoir être ramassée. Mais le Ministère de l’Environnement, sous la pression d’un journal écolo qui menaçait de faire un scandale, avait déclaré que " toutes les truffes sont protégées en Allemagne ". Les protestataires allaient même jusqu’à prétendre qu’il fallait remettre les truffes là où elles avaient été ramassées !

L’affaire finit par s’arranger : sous la pression, peut être, des gourmands, le restaurateur bénéficia d’une dérogation pour ramassage de truffes à titre personnel, et les 45 Tuber uncinatum ne furent pas remises dans la terre, ce qui n’aurait pu faire que le bonheur des sangliers, sans aucun effet pour la préservation de l’espèce !


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