Truffes d’été et mésentériques




Article paru dans le bulletin SMMA n°24-2006

Truffes d’été et mésentériques

Guy Fourré 152 rue Jean Jaurès 79000 Niort

A la fin du mois de juin 2006, un néo trufficulteur, Alain Denoue, de Prin Deyrançon, découvre chez lui une belle truffe d’été... pas dans sa truffière (qui est juste plantée) mais dans un endroit surprenant, un passage carrossable allant de sa maison vers les terrains où il a planté des arbres truffiers, une allée au sol très dur, où il circule fréquemment avec son tracteur. Les circonstances de cette découverte sont amusantes : de la fenêtre de sa maison donnant sur cette allée, il remarquait le manège de deux écureuils, qui à plusieurs reprises allaient gratter à un endroit précis. Sur place, M. Denoue avait découvert un trou, au fond duquel se trouvait... une truffe ! Dont le parfum intéressait manifestement les écureuils !

Le trufficulteur nous apporte pour vérification un fragment de cette truffe : la gleba est bien colorée en gris ocre et elle dégage un fort parfum, très agréable. Sous le microscope je découvre une multitude d’asques et spores. Il s’agit d’une truffe d’été (Tuber aestivum) parfaitement mûre, alors que bien souvent on m’apporte à vérifier des échantillons immatures, dont la gleba est bien blanche et ne contient aucune spore, pas même des asques vides.

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Tuber aestivum
La truffe d’été mûre : à la coupe la chair est gris ocre. Dans les exemplaires immatures, elle est d’un blanc éclatant.

Le 3 juillet, avec Armand Boireau, son copain Michel Jollet et Pain, le chien truffier, nous nous rendons chez M. Denoue à Prin Deyrançon. L’allée où les écureuils ont permis de découvrir une truffe est bordée d’un côté par une réserve d’eau dissimulée par quelques grands arbres, dont un chêne. Et de l’autre côté par un enclos abritant une poule et un figuier. Pain découvre une truffe d’été, de belle taille et bien mûre, dans cet enclos, puis deux autres plus petites dans l’allée et une au ras d’un tas de rondins, presque sous ce bûcher !

Des verrues plus petites

Le lendemain un autre trufficulteur, M. Lacroix, de Salles près de La Mothe Saint Heray, vient me faire vérifier une abondante récolte de truffes qu’il pense être également des truffes d’été, trouvées dans une friche, sous des chênes, grâce à leur chien truffier.

Un canifage (coupe superficielle) me montre une gleba ressemblant beaucoup à celles de la veille, mais plus foncée, et ces truffes dégagent une odeur très puissante, plutôt désagréable. La famille Lacroix en a consommées et ne s’est pas régalée.

Sous le microscope, j’observe là aussi une multitude d’asques et spores, pratiquement identiques à celles de Tuber aestivum. Mais l’aspect du peridium (l’enveloppe extérieure) m’intrigue car les verrues sont beaucoup plus petites que celles de la truffe d’été...

Une coupe transversale de l’une des truffes, puis de plusieurs, m’oriente vers une autre espèce, la mésentérique (Tuber mesentericum). Cette truffe est en effet caractérisée par la présence d’une grosse cavité intérieure, souvent jusqu’à la moitié du diamètre de la gleba, un peu sinueuse et large, avec des veines convergentes, ce qui avait évoqué pour le premier descripteur un " mésentère ", partie de l’intestin humain, d’où le nom adopté.

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Tuber mesentericum
Le "boyau" interne n’est pas toujours aussi typique que sur cet exemplaire, mais il ya toujours une cavité basale vers laquelle convergent les veines.

C’est une espèce que je connais bien, depuis longtemps. Avec Guy Dupuy nous la récoltons dans une station également surprenante par la proximité de l’Océan de Vile d’Oléron depuis plus de dix ans ! Mais l’examen trop rapide fait avec la famille Lacroix montre que si l’on se borne à un simple canifage (comme on le fait avec les truffes nobles) la caractéristique principale de la truffe mésentérique peut passer inaperçue. Il faut absolument la couper par le milieu.

C’est sans doute ce qui explique que certains mycologues célébres, comme Pegler, Hawker, Szmere, ont crû pouvoir synonymiser Tuber mesentericum et Tuber aestivum. S’ils n’ont eu à examiner qu’un fragment d’exsiccata, la confusion était possible, les asques et spores étant pratiquement identiques. Mais pour les spécialistes qui ont pu étudier dans leur vie un très grand nombre de truffes, comme Louis Joseph et Gisèle Riousset en Provence, il ne fait aucun doute qu’il s’agit de deux espèces différentes. L’aspect du peridium, avec des verrues beaucoup plus petites chez mesentericum est déjà une première différence bien visible macroscopiquement. Par ailleurs les grosses verrues de aestivum sont souvent striées de lignes horizontales.

Dans les très nombreux exemplaires que nous avons observés, les Riousset et moi-même, ces stries existent toujours sur une partie des verrues, (pas sur toutes), ce qui a conduit d’autres auteurs à écrire qu’il s’agissait d’une caractéristique inconstante. En fait, sous la bino, on trouve toujours ces stries sur quelques unes des verrues.

Enfin le " boyau " interne des mésentériques sur une coupe médiane, et le parfum bien différent, ne permettent pas d’hésitation. Au sujet du parfum cependant, il faut noter que celui de mesentericum est variable et parfois agréable. C’est le cas de celles de l’ile d’Oléron, que Guy Dupuy consomme avec plaisir. Il en est sans doute de même pour celles qui sont vendues dans certaines régions d’Italie, où on commercialise, parait il, plusieurs tonnes de mésentériques. Par contre celles récoltées par la famille Lacroix avait un parfum franchement désagréable, qui pourrait les faire rapporter à une variété décrite sous le nom, très évocateur, de bituminatum, il s’agit en effet d’une vague odeur de goudron, peu appétissante !

Dédaignant cette station de truffes mal odorantes, la famille Lacroix a prospecté d’autres lisières de bois, sous chênes et noisetiers, sur terrain calcaire, et leur excellent chien truffier (de race Lagotto) leur a marqué de nombreuses truffes d’été bien mûres, à grosses verrues striées et parfum très agréable, jusque dans les premiers jours de septembre.

En Charente Maritime mais pas bien loin des Deux Sèvres, à Saint-Mandé- sur-Brédoire près d’Aulnay de Saintonge, notre ami Jean Babin récolte chaque année de nombreuses truffes d’été, et cette année elles étaient encore plus abondantes que d’habitude, mais très malmenées par la canicule et la sécheresse, souvent pourries, véreuses ou desséchées, et de petite taille : sur une récolte de 4 kg, 600 grammes seulement étaient utilisables pour la cuisine !

Truffes d’été et truffes de Bourgogne

Pour les mycologues systématiciens rivés à leur microscope, il n’existe aucune différence évidente et constante entre Tuber aestivum, la truffe d’été, et Tuber uncinatum, la truffe dite " de Bourgogne ". Un chercheur suédois qui a fait des recherches sur l’ADN de ces truffes est arrivé à la même conclusion. Le taxon le plus ancien étant Tuber aestivum, le nom d’espèce uncinatum devrait disparaître. Et l’on devrait donc appeler " truffe d’été " celle qui se récolte en novembre et décembre !

Allez dire ça aux trufficulteurs du nord est de la France qui recherchent et valorisent la truffe de Bourgogne, ils vous riront au nez et ne vous prendront pas au sérieux ! Car les différences sont évidentes pour tous ceux qui ont eu l’occasion, et le plaisir, de récolter, humer et déguster les deux ! Mais ce n’est pas donné c’est le cas de le dire à tout le monde...

Elles divergent d’abord par le parfum, beaucoup plus net et plus agréable pour la truffe de Bourgogne, d’où une valeur commerciale considérablement plus élevée. Mais aussi par l’aspect de la gleba et l’écologie. La truffe de Bourgogne, à maturité, a une gleba de couleur marron foncé, brun chocolat, que l’on n’observe jamais sur les truffes d’été mûres et uncinatum se récolte de octobre à décembre, alors que aestivum, comme son nom l’indique, mûrit en juillet août.

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Tuber uncinatum
La gléba de la truffe dite "de Bourgogne" : on ne trouve jamais de truffe à chair aussi colorée dans les stations de truffes d’été.

Chevalier et Riousset avaient d’abord cru pouvoir différencier les deux espèces, sous le microscope, par les alvéoles ornant les spores, qui seraient plus profonds pour uncinatum, avec des cloisons hautes de 4 µm, que pour aestivum, dont les cloisons ne dépasseraient pas 2 µm de hauteur. Mais selon certains autres spécialistes cette divergence ne serait pas constante, on trouverait parfois les deux aspects dans le même ascocarpe, voire sur la même spore !

Les auteurs méridionaux avaient également pensé que la truffe d’été était fréquente dans le sud est de la France, mais rare ailleurs, ce qui les conduisait à proposer le taxon Tuber aestivum fo. meridionale. Mais ils n’étaient apparemment pas informés de l’abondance des récoltes de truffes d’été dans d’autres régions, notamment dans la nôtre, où elles se récoltent par dizaines de kg aux confins des Charentes et des Deux Sèvres, et d’autres découvertes de la même truffe ont été faites bien plus au nord, notamment dans l’Oise !

La gleba étant plus claire et le parfum moins prononcé, certains ont pu supposer que ce que nous appelons aestivum ne serait que l’aspect immature de uncinatum. Dans ce cas, en laissant en place les truffes vues en été, on devrait découvrir des truffes de Bourgogne en fin d’automne ? Des amis trufficulteurs ont tenté l’expérience, à ma demande. Ils n’ont jamais trouvé une truffe de Bourgogne en hiver sous les arbres où ils récoltent des truffes d’été...

J’avais soumis cette question au plus célèbre spécialiste mondial des hypogés, le professeur américain James W. Trappe, lors d’un congrès international où je l’avais rencontré, en 1999 à Aix en Provence. Il m’avait répondu : " Pour moi, sous le microscope, c’est la même chose. Mais compte tenu des différences d’écologie et de valeur organoleptique, on pourrait admettre une variété uncinatum ".

Je pense que même la qualification " variété de truffe d’été " n’aurait aucune chance d’être admise dans le nord est de la France ! Et bien qu’elle soit appelée truffe " de Bourgogne " elle existe bien au delà de cette région : Riousset estime qu’il s’agit vraisemblablement de l’espèce de truffe comestible la plus répandue en Europe. En France elle est également commune dans la région parisienne, en Normandie, Picardie, Auvergne, etc. J’en ai personnellement reçu des exemplaires provenant de Charente Maritime et... du bois de Vincennes à Paris !

En définitive, et nonobstant le " verdict " de l’ADN, la pratique s’opposant à la théorie, je me range résolument aux côtés des trufficulteurs, et je continuerai à appeler Tuber uncinatum la truffe que l’on récolte mûre d’octobre à décembre, avec une gleba très colorée et un parfum bien plus prononcé que celui de la truffe d’été.

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Le peridium (enveloppe externe) de la truffe d’été : il y a toujours des stries horizontales sur une partie des grosses verrues (celles qui sont cerclées de blanc sur ce cliché)

Photo : Guy Fourré . Dessin : Bruno Coué.


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